ALPHONSE MUCHA, LE SOUFFLE SYMBOLISTE DE L’ART NOUVEAU Gérard Saccoccini

MARS 2024 

En avant-programme de la Conférence du 13 mars 2024 à Tourrettes

et à la visite de l’exposition "MUCHA", Hôtel de Caumont, Aix-en-Provence, le 24 mars 2024

 Gismonda 1894

  Alphonse Maria Mucha est né à Ivančice (Eibenschütz), une petite ville de l’empire austro-hongrois, au Sud de la Moravie, le 24 juillet 1860.

Inscrit à l’Académie des beaux-arts de Prague, il se forme au dessin du corps humain et à la peinture d’histoire, découvrant dans le même temps le travail de Umlauf, un des derniers grands maîtres de la peinture baroque sacrée qui va profondément le marquer.

En 1879 à Vienne, il poursuit sa formation artistique et intègre les établissements Kautsky-Brioschi-Burghardt, une importante entreprise de fabrication de décors pour les grands théâtres de Vienne et notamment pour le Ringtheater. En 1881, pendant une représentation des Contes d’Hoffman, un terrible incendie se déclare, dans lequel plus de 600 personnes trouvent une mort atroce. Parce qu’il est le plus jeune des employés, et le dernier embauché, il est congédié après ce drame affreux et retourne en Moravie.

Le richissime comte Edvard Khuen-Belasi, qui lui avait confié la réalisation des décors du château d’Emmahof, est tellement impressionné par son travail qu’il décide de financer ses études à l’académie des Beaux-Arts de Munich.

 En 1887, à l’instar de nombreux étudiants venus d’Europe centrale, Mucha prend le chemin de la Ville Lumière où il s’inscrit à l’Académie Julian. En cette fin de 19ème siècle, Paris est un immense maëlstrom intellectuel bouillonnant d’idées, un phalanstère d’artistes venus du monde entier, œuvrant dans toutes les disciplines de l’art. 

Deux ans après son arrivée à Paris, il est confronté à de graves problèmes financiers car son mécène, jugeant sa formation accomplie, cesse de le subventionner. Il vit dans une pension appelée "La Crèmerie", 13 rue de la Grande Chaumerie, dont la propriétaire Charlotte Caron est réputée pour avoir hébergé beaucoup d’artistes en difficulté, acceptant par exemple des dessins et des peintures en guise de paiement du terme.

Qu’à cela ne tienne : grâce au soutien de la communauté slave de Paris, à sa formation et à son intérêt pour les nouvelles techniques d'impression, il va subsister en pratiquant l’illustration, un genre qui lui procure une solide réputation auprès des imprimeurs et des éditeurs parisiens. L’année 1890 est le point de départ d’une carrière d’affichiste, d’illustrateur, de peintre, de décorateur et architecte d’intérieur qui s’inscrit dans la définition du mouvement artistique international qualifiant l’Art nouveau.

Mucha se lance dans la carrière artistique comme on entre en religion, par vocation profonde, convaincu de l’universalité de l’art et de son pouvoir d’inspirer les peuples.

 UN BOHÉMIEN A PARIS

À Paris, la ville qui catalyse les idées nouvelles et les bouillonnements esthétiques et intellectuels, il parcourt les rues pour croquer les passants et les scènes de boulevards qui vont constituer le réservoir inépuisable de son inspiration future.

 À l’Académie Julian il fréquente Pierre Bonnard, Paul Sérusier et son cercle de futurs "nabis". Il s’inspire du travail du peintre Puvis de Chavannes et de la lithogravure de Gustave Doré. Il admire l’Art du Japon promu par Samuel Bing, au point qu’il utilisera durant toute sa carrière le format japonisant pour ses affiches. Il côtoie Rodin, Paul Gauguin et s’intéresse aux séances d’hypnose du colonel Albert de Rochas.

Épris de modernisme, il pratique assidûment la photographie avec les frères Lumière qui immortalisent certaines séances de spiritisme durant lesquelles il joue de l’orgue.

 LA MAGIE DU DESTIN

Nous sommes en 1894, la nuit de Noël va bouleverser sa carrière et faire de lui un créateur prodigue, l’homme qui vivra cent vies en une seule pour avoir été au bon moment, au bon endroit ! Alors qu’il corrige des épreuves dans l’atelier d’imprimerie des Editions Lemercier, on apprend que l’actrice Sarah Bernhardt a téléphoné à l’éditeur, Maurice de Brunhoff, pour réaliser une affiche annonçant la prolongation de "Gismonda", la pièce de théâtre de Victorien Sardou, jouée au Théâtre de La Renaissance, boulevard Saint-Martin. Bien qu’aucun graphiste ne soit disponible et que les ateliers soient fermés pour les fêtes, elle exige qu’une nouvelle épreuve soit réalisée pour le 1er janvier. La seule issue : dépêcher Mucha au Théâtre de la Renaissance, où la dame trépigne, avec mission de concevoir le nouveau projet, toute affaire cessante !

Sur un format japonisant (216 x 74,2 cm), qui deviendra sa signature, Mucha révèle son génie dans le graphisme souple de la silhouette évanescente d’une muse des Floralies, parée de lys et de couleurs douces, dont le nom s’inscrit dans les ors d’une mosaïque byzantine. Le dessin aux couleurs pastel est d’une infinie délicatesse. Le bas de l’affiche, indiquant sobrement le seul nom du théâtre, livre toute la subtilité de l’artiste qui, par la force de la suggestion, livre un message publicitaire subliminal qui tisse le lien avec l’image sublimée que la magnifique tragédienne, dotée d’un goût très sûr et d’un sens inné de la publicité, voulait donner d’elle-même. Par cela, elle a fait de lui l’inventeur d’un style unique et d’une expression particulière de l’Art nouveau qui va détrôner les maîtres incontestés de l’affiche : Jules Chéret et Toulouse-Lautrec.

Enthousiasmée, elle engage Mucha et lui confie la création de toutes ses affiches, de tous ses décors, de tous ses costumes et de tous ses bijoux de scène.

 A-t-il seulement un jour imaginé qu’il suffirait d’une seule affiche (mais quelle affiche !) pour que lui, Mucha, devienne l’artiste parisien le plus en vogue en cette fin du 19ème siècle ? Aurait-il pu imaginer qu’en dessinant "la Divine" Sarah Bernhardt sous les traits de Gismonda, il allait écrire les premières lignes d’une légende, qui ferait de lui le promoteur d’un style qui porterait son nom ? La chance d’une vie si l’on considère que son permis de séjour en France expirait le 31 décembre !

 Au matin du 1er janvier 1895 les murs de Paris se sont couverts des grandes affiches de "Gismonda" (aussitôt découpées ou décollées par des amateurs) ! Suivront ensuite, accompagnant la célébrité, les affiches annonçant les titres d’une prestigieuse programmation : "La Dame aux Camélias", "Lorenzaccio", "Médée"…

Sa participation à l’Exposition Universelle de 1900 lui vaut d’être encensé par le tout Paris. Il rencontre une jeune compatriote étudiante en art qui sera son élève, Maruška Chytilová. Elle est très belle, elle l’admire… Elle a trente ans de moins que lui ! C’est le début d’une idylle solide qui s’achèvera par un mariage, en 1906, et durera toute leur vie. Maruška lui donnera une fille en 1909, Jaroslava, et un fils, Jiří, en 1915.

 Soutenu par le millionnaire philanthrope américain Charles Crane, Mucha entame en 1911 la réalisation de la grande œuvre dont il rêve depuis toujours : une fresque épique de "l’épopée slave" et va y consacrer le reste de sa vie, retiré dans un château de Bohême occidentale. L’œuvre sera présentée le 28 octobre 1928 à Prague, pour le dixième anniversaire de l’indépendance de la Tchécoslovaquie. Le 15 mars 1939, les nazis entrent à Prague, Mucha est arrêté pour ses convictions nationalistes, son appartenance à la franc-maçonnerie et sa lutte pour l’émancipation des peuples. Il meurt le 14 juillet suivant. Son corps est jeté à la fosse commune. Ses restes, avec ceux de nombreux artistes et intellectuels, sont réunis dans une sépulture collective du Panthéon tchèque de la nécropole de Vyšehrad où son nom figure sur une plaque de mémoire dans le cimetière des Grands Hommes.

 Artiste singulier, grand professeur d’art et défenseur de l’identité slave, Alphonse Mucha a mené une vie à la mesure de son œuvre, animée d’un souffle symboliste et mystique porteur d’une éternelle richesse artistique. Son fils, Jiří, a beaucoup écrit sur son père, contribuant à la connaissance de son travail. Décédé en 1991, il repose à Prague, à quelques mètres de la tombe de son père.