La date - 2 février - de la conférence "L'ours et le chamane" correspond à ce thème de la manière la plus symbolique possible, car en météorologie populaire, elle est directement liée à l'image de l'ours qui, selon les proverbes français, est censé sortir ce jour-là de sa tanière pour annoncer la fin de l'hiver et le début d'une nouvelle saison. Dans les cérémonies sacrées que nos ancêtres préhistoriques organisaient à cette période liminaire de l'année sur l’espace eurasien, l'ours était le personnage central. La fête de l'ours, qui a été complètement évincée du répertoire culturel de l'Europe occidentale par l’évolution de la civilisation moderne, a néanmoins laissé une trace visible dans la nomination populaire du 2 février : le terme «Chandelours».
Dans les mythes des peuples de Sibérie, chez qui l'ours a régné jusqu'à la soviétisation, l’animal est représenté comme le sauveur du soleil, volé par son protagoniste. Il y est décrit comme le fils d'une divinité céleste possédant les traits d'un homme, puni pour avoir transgressé les règles établies, et envoyé sur terre où il se retrouve transformé en bête de la forêt. Les Ewenki, les Komi, les Khanty et les Mansi organisaient le festin de l'ours immédiatement après une chasse réussie, qui était pratiquée selon des règles codifiées, tandis que chez les Nivkhs et les Aïnous, c'était un acte solennel : celui du sacrifice de la bête élevée pendant plusieurs années en tant que membre de la communauté des hommes. La fête sacrale dédiée à l'ours devait le satisfaire par les honneurs qui lui étaient rendus en confirmant ainsi son statut de maître des animaux, médiateur entre la Nature et l’humanité, entre le monde céleste et le monde souterrain. Les hommes présentant la fête comme un don demandaient, en retour, que leur soient accordées protection, aides pour une chasse fructueuse et l’assurance de leur prospérité.
Il est connu que le chamane se représente également en tant que médiateur entre le monde humain et l’environnement invisible. Dans cette fonction, il est semblable à l’ours. Et il a un avantage sur lui : contrairement à la bête, il a un langage compréhensible par les membres de sa communauté et peut dialoguer avec ceux qui reconnaissent ses compétences spirituelles. Pour articuler son pouvoir, il essaye doubler le maître de la taïga. De nombreuses légendes relatent la capacité de certains chamanes à prendre l’apparence d'un ours. Les signes explicites de ces métamorphoses sont des capes faits de la peau entière de la bête, des masques et autres attributs, comme ses images sur le tambour et le battoir. Mais le chamane, en tant que tel, ne jouait aucun rôle dans la fête de l'ours et s'il était présent, c'était uniquement en tant que membre ordinaire de la communauté. Ceci, d'ailleurs, montre que le cérémonial sacral dédié à l'ours s'était formé bien avant que le chamanisme prenne l’importance d’une institution socioreligieuse.