Un Tourrettan,                                                        le Général Jacques Alexandre FABRE


                                

Notice nécrologique sur le Général Fabre

    par Tiburce HIARD, Colonel en retraite, PARIS 1845 


  Né à Tourrettes, près de Fayence (Var), le 18 mars 1782, Jacques Alexandre Fabre entra fort jeune au collège de Draguignan, où il fit de brillantes études. 

Son père, honorable médecin, mourut sans fortune, laissant une femme et six enfants en bas âge. 

Fabre, alors âgé de 14 ans, et aîné de la famille, quitta le collège et entra, comme secrétaire, auprès de M. Fabre, son parent, ingénieur en chef du département du Var.

 Doué d'une vive intelligence, il acquit bientôt, par son assiduité au travail, les connaissances exigées pour entrer à l’École Polytechnique, qui venait d'être créée. Les débuts du jeune Fabre furent aussi heureux que distingués; à son premier examen, il disputa avec avantage le premier prix. L'année suivante, il obtint des professeurs la mention la plus honorable, et il choisit la carrière des ponts et chaussées, pour laquelle il éprouvait un vif attrait. Là, comme partout, il mérita l’attachement de tous ses chefs, et celui surtout de M. Lesage, homme d'un mérite éminent, de qui il n'oublia jamais la bienveillance. 

Le premier travail de M. Fabre, comme élève des ponts et chaussées, fut la route de la Corniche à Gênes, qu'il fit tracer depuis Nice jusqu'à Menton.                                                                                                                                                                                                                                                                 

  Bientôt attaché aux travaux que l'on exécutait dans le département de la Seine, aux environs de Paris, il fut ensuite nommé ingénieur ordinaire dans le département de la Nièvre, et chargé, par le directeur général des travaux, du canal dit de la Collancelle, ouvrage fort important où il s'agissait de percer à plusieurs kilomètres de longueur la montagne dans laquelle ledit canal devait passer.

 En avril 1810, M. Fabre eut l'honneur d'être désigné par Napoléon, d’après la demande faite à ce souverain par l'empereur Alexandre, pour aller en mission extraordinaire en Russie. Il se rendit aussitôt à Paris d'où il partit avec ses trois collègues Bazaine, Potier et Destrem.

Alexandre I de Russie 


 Arrivé à Saint-Pétersbourg, M. Fabre entra au service russe avec le grade de lieutenant-colonel, et fut nommé, bientôt après, premier professeur et sous-directeur de l’école des voies de communications que les quatre ingénieurs français étaient appelés à organiser sous la direction du général de Béthencourt.                                                                                                                                                                                                                                                          

Ce fut au lieutenant-colonel Fabre que l'empereur Alexandre s'adressa pour savoir s'il serait possible d'établir un pont fixe sur la Neva, à l'endroit même où il en existait un en bois, établi sur bateaux, vis-à-vis la statue équestre de Pierre-Le-Grand, faisant face à la place Saint.lsaac.


 Pierre Le Grand

 M. Fabre fil sonder la Neva, et jugea exécutable le projet de l'empereur, malgré les difficultés à surmonter, le fleuve ayant, en quelques endroits, plus de treize mètres de profondeur. Il fit, à cet effet, construire un modèle en bois qui fut placé, par ordre de l'empereur, dans la salle de dessin de l'école des voies de communications, pour servir à l’instruction des élèves. Ce beau travail valut au lieutenant-colonel Fabre la croix de Sainte-Anne, 2ème classe.                                                                                                                                                                                                  La guerre de 1812 ayant éclaté entre la France et la Russie, M. Fabre et ses trois collègues furent éloignés de Saint-Pétersbourg par ordre de l'empereur, et envoyés à Saroslow, près de Moscou.

 Bientôt, par un déplorable malentendu, et à l’insu d'Alexandre, ils furent transportés à Irkousk, gouvernement de la Sibérie, sur les frontières de la Chine, où ils restèrent jusqu'au retour des Bourbons en France. A sa rentrée dans ses états l'empereur de Russie apprit avec le plus vif mécontentement l’exil en Sibérie des ingénieurs français, pour lesquels il avait toujours éprouvé une véritable estime, et ordonna au ministre de la police de les rappeler à l'instant. M. Fabre et ses compagnons d’infortune arrivèrent à Saint-Pétersbourg dans le mois de mars 1815. L'empereur les accueillit de la manière la plus flatteuse, les assura qu'il s'efforcerait de leur faire oublier les peines et les désagréments qu'ils avaient éprouvés dans leur exil, et leur fit des propositions aussi honorables qu'avantageuses, s'ils consentaient à rester à son service. Ils acceptèrent les offres généreuses du souverain de toutes les Russies, qui les éleva au grade de colonel du génie.

 Dans ce nouveau poste, le premier ouvrage de M. Fabre fut le projet du port de Taganrog ; ce travail achevé, il revint à Saint-Pétersbourg. L'empereur le chargea bientôt de la construction des ponts à établir sur la chaussée de Saint-Pétersbourg à Moscou; et, peu de temps après, voulant établir dans ses étals des colonies militaires, il confia au colonel Fabre les travaux les plus importants et le nomma en même temps directeur de ces travaux. Les projets furent faits et approuvés par Sa Majesté. 

M. Fabre construisit la première colonie où fut installé le régiment du comte Arokehess. Les principaux travaux de cette colonie consistaient en plusieurs grands corps de bâtiments pour loger l'état-major, en une salle d'exercice où pouvait manœuvrer tout le régiment, composé de 3000 hommes ; à celle salle étaient réunis, d'un côté, un bâtiment consacré à l'école des jeunes soldats colonisés, et, de l'autre, un hôpital pour les soldats malades. Le milieu de la salle communiquait à une église où le régiment assistait aux offices divins sans quitter les rangs. Pour couvrir celle salle, le colonel Fabre inventa un nouveau système de charpente qui plut tellement à l'empereur, que ce souverain ordonna de l'appliquer à toutes les autres salles des colonies à établir. Il donna à M. Fabre, comme témoignage de sa vive satisfaction, la croix de Saint-Wladimir, 2ème classe, et le grade de général major. L'empereur ne s'en tint pas à ces distinctions, et voulant reconnaître dignement les nouveaux et importants services que le général français rendit dans la suite à la Russie, il le décora du cordon de Sainte-Anne 1ère classe, et lui fit présent d'une tabatière enrichie de diamants, ornée de son chiffre impérial.                                                                                                                                                                                                                                                           

   A la mort de son frère Alexandre, l'empereur Nicolas ayant continué l'établissement des colonies militaires, le général Fabre fut également chargé par ce nouveau souverain de la direction et de la construction de travaux d'une haute importance parmi lesquels nous devons citer un admirable pont en bois à une seule arche, sur la Medwed, ayant une hauteur et une longueur prodigieuses ; ce bel ouvrage lui valut la croix de Sl-Wladimir, 1ère classe, et une tabatière enrichie de diamants avec le chiffre de S. M. l'empereur Nicolas.

 Nicolas I°  

 Sous le règne de Charles X, le général Fabre étant encore au service de l’empereur de Russie, reçut du gouvernement français le grade d'ingénieur en chef, comme comptant toujours dans le corps royal des Ponts et Chaussées, et il obtint à la même époque la croix de la Légion d’Honneur, et ensuite celle d'officier du même Ordre.

 Cependant les longs services du général Fabre , ses laborieux travaux et, sans doute, le rude climat de la Russie avaient altéré sa santé; en 1833, il demanda son congé à l'empereur Nicolas, qui ne le lui accorda qu'avec peine, désirant le retenir encore à son service. Il témoigna toute sa gratitude au général Fabre d'une manière flatteuse et bienveillante, en lui donnant une pension de 8000 roubles, avec la permission de venir vivre en France, conservant l'espérance de le voir un jour rentrer à son service.

 Le général Fabre vint s’établir à Tourrettes, son pays natal, où il est mort le 4 août 1844, à l'âge de soixante-deux ans.

   TIBURCE HIARD, colonel en retraite.