15 Juillet 2020
Dans le patrimoine universel de l'humanité, l'histoire des peuples constitue un bien commun à toutes les générations qui se doivent de le connaître afin de le transmettre à leur tour, en toute impartialité, ce qui représente sans doute l’exercicele plus difficile dans la conservation de la mémoire.
« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ! ». Cette phrase, que l'on prête à Churchill, n'est qu'une des innombrables mises en garde qui, de Confucius à George Santayana, en passant par Aldous Huxley, invitent à ne jamais oublier les leçons d'un passé qui répèteraient sans cesse les péripéties de l'Histoire, imposant un constant devoir de vigilance. Le tragique constat de Karl Marx : « l'Histoire se répète toujours deux fois, la première comme une tragédie, la seconde comme une farce » suffit à donner à ce devoir sa pleine légitimité.
Au cours des siècles, par une sorte de volonté disculpatoire, toutes les guerres furent définies, justifiées ou nommées, par un nombre incroyable de qualificatifs : guerre juste, sacrée, sainte ou encore guerre légitime, sans véritablement considérer et qualifier les moyens mis en œuvre pour les conduire. Lesquels menaient de part et d'autre à des dérives et à des crimes.
Il n'y a pas de guerre noble ! Dans la relation juste de l'Histoire, si l'on doit impérativement considérer et les moyens et l'objet, l'historien se doit de ne jamais les confondre.
A titre d'exemple, à l'analyse des conquêtes islamiques, on ne peut occulter le lien capital tissé par la culture arabe entre le legs gréco-romain et l’Occident (notamment par l’œuvre d’Avicenne, puis d’Averroès). Mais on ne peut pas, non plus, considérer la Première Croisade seulement comme une agression européenne contre le monde musulman sans céder à une contrevérité qui impose aujourd'hui un raccourci par trop simpliste. L'appréhension et la compréhension de l'histoire des peuples concernés en sont faussés car, contrairement aux entreprises qui suivirent, la première croisade ne fut que la riposte à une des plus terribles manifestations du prosélytisme religieux guerrier, générée par l'expansion meurtrière de l'Islam dans un but passé sous silence : l'établissement de la puissance Seldjoukide.
La constitution du califat « politique » évinça le sultan de Damas, ne lui laissant qu'une autorité très relative sur la direction du califat religieux. Le vecteur hégémonique principal en fut, dès le 8ème siècle, la colonisation du Proche Orient, puis de l'Afrique du Nord, de l'Espagne, et ensuite du Languedoc et de l'Italie du Sud dont les populations étaient majoritairement chrétiennes et juives.
La justification de ces guerres était religieuse. L'objet en était la conquête du bassin méditerranéen, animée par le devoir de défense de la foi. Les moyens utilisés étaient la soumission brutale ou l'éradication des infidèles : ce fut la « Guerre Sainte » !
Le 28 juillet 1480, la flotte turque commandée par Kedük Ahmed Pacha assiège Otrante (Italie). Le 11 août, la ville est prise d'assaut : sur les 22 000 habitants, 12 000 sont massacrés dont 800 décapités, les autres réduits en esclavage. L'archevêque, les prêtres et le gouverneur furent sciés en deux. (Hammer-Purstall, Histoire de l'empire ottoman, Hellert, Paris 1836).
L'apport culturel de la civilisation arabe au monde occidental est considérable, c'est indéniable. Il s’est accompagné d’agressions violentes, de conquêtes brutales, de viols, de massacres et de crimes ayant fait des milliers de victimes, ça l'est tout autant.
Le reconnaître, et ne pas dissocier de l’héritage la finalité et les moyens utilisés (sans les confondre), c'est admettre que l'analyse de toutes les entreprises coloniales doit se faire par un prisme très large dont le filtre doit être l'impartialité de l'historien, dégagé de la pensée unique et de tout élément passionnel.
Le débat actuel autour du passé colonial des pays européens ne devrait pas être abordé sans s’abstraire au préalable des analyses partielles ou partisanes, sectaires ou tendancieuses, des accaparements et déviances vite devenus des contrevérités, ceci afin d'éviter d'alimenter l'anachronisme qui consiste à juger les évènements du passé à l'aune d'une grille de valeurs actuelle. Sans le détachement et le recul qui s'impose dans de telles analyses, la conception de l'Histoire est inquiétante, porteuse de dérives et d’amalgames que seul un véritable enseignement public didactique pourrait contenir.
Aujourd'hui plus que jamais, alors que sont exacerbées les querelles des mémoires coloniales, et des actes qui s'y rattachent, l'Histoire doit rester l’Histoire.
Confrontés à la nôtre, l'impartialité et l’honnêteté doivent nous garder de succomber à la tentation d'en écrire une autre ou d'en construire une fausse.