Oliviers : par delà « leur murmure immensément vieux »1                                              Jean Gault

5 Janvier 2022 


Chiffres 2017 : (source : bulletin de la Communauté de Communes)
(Negret s’appelle maintenant « Montaurounenque », férastre :

 variété redevenue sauvage, ou : féraste, ou : féral) 

A) Inutile d’aller chercher loin, notre chère Provence (avec le comté de Nice) recèle des arbres fort vieux : à Roquebrune-Cap-Martin, prospère un spécimen âgé de 2000 à 2800 ans, dont la circonférence mesure 23 m ; il est désormais inscrit au répertoire des arbres remarquables de France, depuis 2016 2.
Plus près de chez nous : un adhérent de l’association des oléiculteurs du Pays de Fayence3 possède quelques oliviers en bordure de la route de Mons4. Il a eu la curiosité de faire dater scientifiquement quelques souches à première vue fort vieilles.
Le résultat d’une mesure au carbone n’est pas décevant : la souche la plus ancienne a sans doute, plus de 700 ans, car ce qui a été daté, c’est le bois qui est encore là. On ne sait pas si du bois plus vieux encore n’a pas disparu, en pourrissant. C’est-à-dire que l’arbre (qui émet encore des rejets) remonte à une période antérieure au roi René, alors que la Provence était encore indépendante.
(Dans ces conditions, il serait intéressant d’examiner des oliviers proches du canal romain. En effet, ils pourraient avoir été plantés au moment de la construction de ce canal (encore faut-il pouvoir accéder à la partie la plus ancienne de la souche)).                                                                                                                                                                                                                           La plus nombreuse: la Cailletier (ou grassois ou olive de Nice ou grassenc, c'est la même chose) est en particulier très largement majoritaire à Tanneron, ce qui pourrait permettre à cette commune de s'inscrire dans le terroir voisin de l'appellation d’origine protégée « olives de Nice» (cela bénéficie aux huiles, et aux olives en saumure, et leur permet de se vendre plus cher) . 

  L'huile de Cailletier a un arôme d'amandes fraîches, d’artichaut avec une pointe d'amertume et de l'ardence en fin de bouche (selon le domaine de l'Olivette, pépiniériste et oléiculteur à Roquebrune sur Argens). Les olives de cette variété se préparent également bien en saumure.Sa version italienne est « Frantoio » : nos arbres sont pour certains toscans. 

Exemple deSchéma explicatif : l’arbre repart toujours de la souche (en provençal : « la cèpe »), ce sont les rejets (« souquets ») qu’on observe souvent à son pied.  texte

    Il convient de terminer ce paragraphe sur l’âge des arbres individuels, par une mention du Proche-Orient : les oliviers qui poussent depuis des millénaires sur les pentes du Mont des Oliviers à Jérusalem sont à l’origine de l’appellation encore utilisée de nos jours. Les Juifs le connaissent également sous le nom « Mont de l’Onction » car l’huile produite par ses arbres servait à oindre les rois et les Grands Prêtres. À partir du XIIème siècle, les Arabes l’appelèrent « Djebel et Tur », vocable d’origine araméenne qui signifie « mont par excellence » ou « mont Saint » ; désormais, il s’appelle tout simplement « et-Tur ». (Source : custodie de Terre Sainte)  .

  B) Si les arbres sont vieux, l’espèce l’est plus encore. 
Dans les carrières de gypse d’Aix-en-Provence, on trouve des fossiles d’oliviers datant du miocène, c’est à dire de plus de 5 millions d’années.
Par les mécanismes de reproduction sexuée (fécondation de pistils par le pollen), les arbres ont eu tout le temps d’évoluer. L’intervention humaine n’a fait que sélectionner des formes intéressantes.
A cette reproduction sexuée, les hommes ont ajouté la greffe, et la bouture (ou le marcottage) : cette vie commune (entre les oliviers et les hommes5), a commencé il y a 4.000 ans avant Jésus-Christ, elle a abouti à des centaines de variétés cultivées aujourd’hui, à travers le monde. (La diversité sauvage est incalculable).
Dans le Pays de Fayence il existe une trentaine de variétés cultivées (chiffres 2021), et les travaux de France Olive, avec l’association des oléiculteurs du Pays de Fayence, mettent en lumière des variétés que nous ne connaissions pas. Par exemple, à Seillans, une variété inconnue vient d’être nommée « Cuinier ». Peut-être atteindrons-nous 40 variétés dans notre pays de Fayence (pour une grosse centaine en France) : nous sommes assis sur un trésor de biodiversité génétique.                                                                                         


Photo: R Pécout: Cailletier 

 En quoi la biodiversité est-elle intéressante ?   D’une part, elle permet de répondre au choix des cultivateurs : olives de table, olives à huile, elle permet également de s’adapter la diversité du terroir, ou de choisir des variétés résistantes à tel ou tel problème : précoces ; ou tardives ; peu sensibles à la mouche ( Bactrocera oleae). D’autre part, il n’est pas exclu que nous trouvions dans notre propre patrimoine génétique, des variétés qui s’adaptent mieux au changement climatique: températures plus élevées , précipitations plus irrégulières (c’est à dire : ambiance plus sèche, stress plus violent).
Enfin, il semble que certaines variétés résistent mieux aux maladies cryptogamiques , (pathologie des feuilles6) et à la bactérie Xylella7 , qui est apparue il y a quelques années en Italie du sud ( elle n’a été identifiée que deux fois, et dans le département des Alpes-Maritimes, à ce jour ; croisons les doigts).

C) Si les arbres sont vieux, ils accompagnent nos vies depuis toujours 

  Qui se souvient que l’électricité est arrivée à Callian dans les années 30 ? Avant cela, on s’éclairait à la lampe à pétrole, et avant le pétrole on s’éclairait à la lampe à huile (ou à la bougie, ce qui est plus cher): le « calen ». L’olivier était donc un compagnon précieux de la vie quotidienne. 


Une lampe à huile romaine 

Son huile nourrit les habitants, ses fruits étant employés également pour la nourriture (voir les brochures culinaires de l’association des oléiculteurs du Pays de Fayence). L’olivier sert également de fourrage : dans le sud de l’Espagne, le nord du Maroc, lorsque les bergers n’ont plus assez d’herbe pour nourrir leurs animaux, il les conduisent dans les fourrés d’oléastes (arbres sauvages). Ou bien coupent eux-mêmes les branches. Enfin, il n’est pas nécessaire de rappeler que le bois d’olivier est utilisé en ébénisterie, ou pour la fabrication d’objets quotidiens, pour la construction des maisons, et tout simplement pour le chauffage. 

Que seraient nos merveilleux paysages provençaux, s’il n’y avait pas les oliviers pour animer et illuminer le relief, tenir la terre, accompagner les cultures vivrières ? (Pendant des siècles, les céréales étaient cultivées entre les oliviers, ou bien les pois chiches).  
L’huile d’olive a été également utilisée comme onguent pour soigner les blessures. Aujourd’hui encore, elle entre dans la fabrication de produits cosmétiques. Sa capacité à absorber les parfums en a fait un auxiliaire puissant de la vie en société.
Il était dès lors inévitable qu’elle fasse partie des symboles religieux : onction des rois et des prêtres (voir ci-dessus, Mont des Oliviers), et dans la religion catholique, onction des baptisés, des confirmands, des prêtres, des évêques.   


Cathédrale ND Bourg, Digne : saintes huiles 

Gethsémani est le terme utilisé par les évangélistes pour désigner le lieu dans lequel se rendit Jésus le soir , après le dernier Repas. Coïncidence : le mot provient de l’araméen gat Semãnê, généralement traduit par « pressoir pour l’huile ». (source : Custodie de Terre Sainte). L’éclairage des lieux de prière est une évidence.(L’un des symboles les plus connus étant le célèbre chandelier à 7 branches, que les armées romaines ont saisi après le siège de Jérusalem en 70 après Jésus-Christ). Aujourd’hui encore, on voit dans les mosquées anciennes de superbes lustres portant nombre de petites coupelles/lampes à huile.

 Reste enfin l’énorme charge symbolique : les armoiries de la République française marient le chêne et l’olivier, le nord et le sud de la France. 


L’olivier fut repris sur nos pièces de monnaie, qui ont disparu avec l’arrivée de l’euro :

L’histoire biblique du patriarche Noé a donné à l’olivier une place inoubliable : pour lui signifier qu’il y avait de la terre sèche où poser pied à la fin du déluge (Dieu faisait la paix avec les hommes), la colombe lui a rapporté un brin d’olivier. Il y a peu, Picasso peignait la colombe de la paix:

Le dernier mot appartiendra à l’Histoire romaine, à qui nous devons tant, spécialement en Provence :
Avec la vigne, et le figuier, l’olivier fait partie des plantes fondamentales : osons le mot : sacrées. (Le blé est une plante annuelle absolument nécessaire, mais il faut le semer chaque année). L'aire du Figuier, de l'Olivier et de la Vigne (en latin, Ficus, Olea, Vitis) est une zone sacrée de l'esplanade du Forum Romain, située dans le site archéologique le plus important de Rome ; elle n'est pas pavée et là poussent un figuier, un olivier et un pied de vigne. 


Photo moulin communal de Callian : fabrication traditionnelle (comme à Montauroux et Seillans) 

D) Épilogue : et maintenant, on fait quoi ? 
Il résulte de ce qui précède, que le développement des oliviers dans le pays de Fayence requiert plusieurs mesures :
– protection draconienne : il conviendrait de trouver le moyen légal d’interdire aux constructeurs immobiliers de scier ou d’arracher les oliviers
– pour produire, il faut maintenant de l’eau d’arrosage : la Régie de l’eau doit changer de paradigme, et octroyer à des conditions préférentielles de l’eau d’arrosage à des amateurs, et pas seulement aux professionnels agricoles, à qui tout le respect est dû.
– le patrimoine génétique étant exceptionnel, l’association des oléiculteurs du Pays de Fayence poursuivra ses identifications (... et ses découvertes) sous l’autorité de France
Olive ; le moment venu, un répertoire électronique public sera constitué, avec les arbres de référence, que l’on pourra visiter.
–éléments commerciaux : le pouvoir d’achat sur la Côte d’Azur étant important, il serait porteur d’adopter une étiquette en partie commune à tous les oléiculteurs du Pays de Fayence. Certes, les volumes réellement mis en vente sont faibles, mais il est permis d’espérer que la production se développe. (Beaucoup d’huile est donnée, elle peut aller jusqu’en Allemagne, au Danemark, au Bénélux, au Royaume-Uni...). Les 4 moulins à huile8 sont fermés pendant la saison touristique, c’est normal mais c’est fort dommage : l’office du tourisme intercommunal (la maison du lac), envoie les demandeurs au moulin de Callas. Ne pourrait-on instaurer un programme partagé, pour que chacun des moulins ouvre à tour de rôle pendant les semaines d’affluence touristique, en été (exemple : 2 demi-journées par semaine par moulin)?  

Photo moulin Pierre Stalenq, Fayence : chaîne continue, olives à un bout, huile à l’autre bout 2 heures après 

Chaque année, la communauté de communes octroie une subvention à l’association des oléiculteurs du Pays de Fayence : Qu’elle en soit remerciée.
Les lecteurs intéressés peuvent adhérer (30 €/an, voir le site web et les formations) : ils sont bienvenus.   

1 Van Gogh
2 « Arbre remarquable de France » est un label décerné, depuis 2000, après étude de dossier, par
l'association A.R.B.R.E.S. (Arbres Remarquables : Bilan, Recherche, Études et Sauvegarde) qui effectue un
inventaire à l'échelle du territoire national. Les arbres ainsi distingués sont signalés par un panneau « Arbre
remarquable de France »
Ce label distingue des sujets exceptionnels, au nombre d'environ 700 arbres en 2019 ainsi que des ensembles
arborés remarquables.
3 oleiculteursdupaysdefayence.fr
4 L’association de se tient à disposition pour préciser l’endroit. 5 Pour les fervents d’écriture inclusive : cette vie commune entre les oliviers et les hommes et les femmes 6 Exemple : « œil de paon », qui marque les feuilles de petits ronds jaunes et noirs ; évidemment, « ça ne porte
pas bonheur à l’olivier »
7 Xylella fastidiosa ; cette résistance n’est pas encore prouvée absolument.

 8 D’Est en Ouest : Montauroux, Callian, Fayence, Seillans.