L'édito du 15 Juin 2020
Au XVI° siècle, la Provence connaît un tournant crucial de son histoire. La Réforme a atteint Marseille en 1540 et, vingt ans plus tard, on dénombre plus de soixante communautés réformées qui se sont formées autour d’églises dites « dressés ». En 1558, deux hérétiques sont condamnés au bûcher par le Parlement d’Aix. La visite d'un pasteur genevois à Castellane va provoquer une réaction populaire favorable à la Réforme et une église « dressée » est créée.
Les frères de Mauvans,jeunes nobles acquis à la nouvelle doctrine, prennent la tête du mouvement et seront les instigateurs de la propagation de la « nouvelle foi ». Face à la réaction réfractaire, ce prosélytisme s'accompagne rapidement de violences. Antoine de Mauvans prend la tête de bandes de huguenots qui ravagent les terres de Haute-Provence. Appréhendé en 1559 à Draguignan, il sera massacré par la population.
Son frère, Paulon de Richieu, ou Paul de Mauvans, capitaine huguenot, jure de le venger et lève une armée de 2000 hommes qui parcourt la montagne l’année suivante, pillant et brûlant les bourgades, et saccage Draguignan en représailles.
Dès 1560, le Gouverneur général et grand Sénéchal de Provence, Claude de Savoie, comte de Tende, intervient très souvent en faveur des protestants de la Provence alpine et des territoires de Provence orientale. Personnage sage et modéré, plutôt favorable à la Réforme, il tente de calmer les esprits et de mettre fin aux luttes fratricides sans fin qui génèrent crescendo, dans les deux camps, des actes de rétorsions de plus en plus violents.
En 1562, soucieux d'éviter les souffrances du petit peuple rural, il engage le même Paul de Mauvans pour mettre un terme aux ravages perpétrés par le capitaine catholique Durand de Pontevès qu'il oblige à se retirer à Porquerolles. En 1563, il rédige une supplique à l'attention de son parent, Emmanuel-Philibert duc de Savoie, pour défendre la liberté de conscience dans ses états. Claude de Savoie meurt en 1566. Son fils Honoré est nommé à sa place, la guerre reprend de plus belle l’année suivante.
Près de vingt ans plus tard, des bandes de Carcistes ravagent la Provence. Ce sont des catholiques intransigeants, dévoués corps et âme à leur capitaine, le comte Jean Pontevès de Carcès, d'où leur nom. Ils s'opposent aux partisans de la tolérance, appelés les Razats, en référence à leur chef : le gouverneur maréchal de Retz, ennemi juré des Pontevès. Néanmoins, dans leur comportement, les Razats n'ont rien à envier à leurs adversaires : ils ravagent le pays, pillent et brûlent les villages, massacrant les populations avec le même enthousiasme.
Jean de Villeneuve, seigneur de Tourrettes, né catholique et baptisé, a épousé le 26 mars 1562 Pierrette d’Oraison, fervente calviniste qui lui donnera dix-sept enfants. Après vingt-trois ans d’une union parfaitement harmonieuse, Jean décède. Or, un mois avant de rendre l’âme, il a abjuré le protestantisme pour pouvoir être enterré en terre catholique et pour obéir à son roi, Henri III. Lassé de voir son peuple s'entre-tuer, le souverain, a décidé que tous les huguenots qui n’abjuraient pas verraient leurs biens confisqués et remis entre les mains de parents ou alliés catholiques.
A la mort du roi de France Henri III, Pierrette d’Oraison va soutenir avec ferveur la cause d’Henri de Navarre, alors protestant et prétendant au trône de France et la petite forteresse de Tourrettes va servir de refuge pour les protestants contre les voisins catholiques de Fayence.
Il ne s'agit pas d’un véritable château-fort, défini comme ouvrage résultant de l'ingénierie militaire féodale pour regrouper l'administration civile, la famille et l’armée d’un feudataire, mais plutôt d’un « parage », ouvrage défensif constitué de palissades englobant plusieurs tours de vigie, dont certaines en bois, et une maison forte, ou logis, destinée au seigneur.
On peut imaginer qu’entre Fayence et Tourrettes, au motif des luttes religieuses, se sont succédé avec une même ardeur coups de mains, rapines, pillages, mais aussi règlements de comptes, détournements de successions et captations de biens.
Considéré comme un enjeu stratégique pour les Réformés, le « château » de Tourrettes est « bombardé » en 1590 par les fayençois avec un canon prêté par l'armée des Ligueurs, commandée par le duc Jean-Louis de Nogaret, seigneur de La Valette et de Caumont, duc d’Epernon. Pierrette d’Oraison et sa nombreuse famille trouvent refuge dans la plaine, à la bastide du Chautard. Tourrettes est investi par les Ligueurs et la forteresse est détruite en 1592.
Deux ans plus tard, Henri de Navarre converti est sacré roi de France, la paix revient. Avec lui, quantité de seigneurs protestants se convertissent également, dont Jean de Villeneuve et ses frères, les enfants de Pierrette d'Oraison qui, elle, n’abjura jamais et mourut au Luc en 1626.
Conversion de conviction ou de convenance ? Il semblerait que nombre de seigneurs aient abjuré leur foi pour échapper à la saisie de leurs biens prévue aux ordonnances royales. Mais le bon roi Henri n'avait-il pas dit lui-même pour justifier sa conversion : Paris vaut bien une messe ?
Jean de Villeneuve rentra à Tourrettes où il organisa le partage de ses biens. Dès lors la branche des Villeneuve-Tourrettes s'installe dans la grande maison au-dessous de l'enceinte (aujourd'hui la Mairie). En 1657, la seigneurie de Tourrettes est élevée au rang de comté. En 1689, elle hérite du marquisat de Trans.