LES AFFRES DE LA BIEN-PENSANCE OCCIDENTALE                                                Gérard Saccoccini

15  Novembre 2021  

Portrait de Dante (1465), Domenico di Michelino, cathédrale Santa Maria del Fiore, Florence (détail).

Si l’information est vérifiée, la déclaration du secrétaire d’Etat belge, en charge de l’urbanisme et du patrimoine, le fait caracoler en tête du peloton dans la course à la bêtise, en ce qui concerne le projet de révision de l’appellation « Journées du Patrimoine » qu’il propose de remplacer par « Heritage Day ».

  Ceci au motif que le vocable « patrimoine » fait étymologiquement référence à une sujétion à l’autorité du pater familias qui serait réductrice pour la femme !

 Quelle merveilleuse idée que d’utiliser une locution anglaise dans un pays qui possède déjà trois langues officielles ! A noter toutefois que le mot anglais « heritage » se traduit en français par patrimoine, ce qui rend obsolète la tentative de supprimer la référence à la transmission patriarcale,

  Par ailleurs, il semble que le groupe d’influence proche du ministre Néerlandais en charge de l’éducation nationale soit en passe de coiffer au poteau le ministre belge (ils se donnent les moyens d’y parvenir) avec les récentes « retraductions » de l’œuvre de Dante Alighieri et un projet de retrait des programmes scolaires des Pays-Bas, au motif que la Divine Comédie contient des propos offensants pour les musulmans. 

  Qu’en est-il exactement ?

Parmi les personnages que Dante place dans l’Enfer apparaissent, entre autres, Averroès, commentateur de l’œuvre d’Aristote dont la doctrine fut condamnée non seulement par l’Eglise, mais aussi par l’orthodoxie musulmane, puis Avicenne, auteur du traité de médecine « le Canon » (chant IV), non moins condamné, et enfin Mahomet et son gendre Ali, considérés comme schismatiques et placés près de Lucifer, dans le 8ème cercle de l’Enfer (chant XXVIII), pour la gravité de leurs péchés.

 Quels sont-ils ?

 La faute reprochée à Mahomet est d’avoir divisé les peuples de la Méditerranée en créant l’hérésie musulmane et en provoquant un schisme majeur entre chrétiens et musulmans (ce qui historiquement est vrai). Cette division est inconcevable pour Dante pour qui l’humanité doit être unie dans la foi chrétienne au sein d’une Eglise souveraine, ce qui est un concept philosophique inhérent à la pensée de la société du siècle, encore imprégnée de celle de Saint François d’Assise. La légende de ce saint personnage, inscrite dans la mémoire collective par un écrit anonyme du XIV° siècle, les Fioretti, perpétue son amour et son respect affirmé de la création et des êtres vivants. Sans doute son esprit d’humilité et sa volonté d’absolue pauvreté lui furent il inculqués par la philosophie tolérante enseignée par sa mère, une certaine Dame Pica venue de France, dont le legs régénéra l’Eglise. 

   Quant à Ali, en créant le schisme entre sunnites et chiites, il s’est rendu coupable d’hérésie mineure (ce qui est une autre vérité historique). Rappelons qu’à la mort de Mahomet, en 632, aucun successeur n’avait été clairement désigné, ce qui déclencha les querelles entre ceux qui se considéraient ses héritiers. Une dispute qui donna lieu au grand schisme de l’islam par la constitution de deux factions dont l’antagonisme déchira les sunnites et les chiites.

 Ces pensées correspondent à une philosophie sociétale du début du 14ème siècle ! Et ce serait une bien plus grande hérésie, et une faute incommensurable, que de vouloir analyser une œuvre du passé à l’aune des concepts du présent, en prenant le risque inconsidéré d’une réécriture déviante de l’Histoire, d’une fausse histoire donc, inquiétante, porteuse de dérives et d’amalgames. Car c’est bien là que le bât blesse. 

  Les diktats d’une nouvelle culture de l’effacement, du renoncement, la culture « wok », la fameuse « cancel culture », qui gangrènent nos universités et nos grandes écoles, de plus en plus intolérants et agressifs ont profondément noyauté les sociétés occidentales dans lesquelles le « politiquement correct » et la pensée unique instaurent une véritable dictature idéologique intellectuelle qui ne souffre aucune contestation et ne tolère aucun débat d’idées. Cet état de choses conduit aux débordements condamnables que génère l’expression d’une pensée différente, ou contradictoire, à laquelle répondent la grossièreté, l’invective, l’insulte et jusqu’à l’agression physique, aujourd’hui hélas banalisée. 

On n’est pas libre lorsqu’on n’est pas maître de soi, disait avec justesse Démophile.

   Dans le cas présent, les attitudes qui conduisent à interpréter, voire interdire l’œuvre de Dante, amèneront inévitablement à expurger (donc dénaturer et pourquoi pas interdire) les œuvres de Voltaire et de Céline. Ces comportements représentent un véritable danger pour la société humaine.

   Et puis quelle curieuse tendance, quel curieux snobisme « culturel » pousse les gens à utiliser des mots tirés de langages étrangers, dont les racines sont certes communes, alors que la richesse de la langue française n’incite pas à rechercher dans ces langages des mots que nous ne possèderions pas.

 D’autant plus que la prononciation à la française les déforme, les dévoie, et les rend souvent incompréhensible par absence de respect de la position syllabique d’un accent tonique dont nous n’avons pas l’utilisation.

 C’est le cas du vocable italien « mercato », dans le football, à la place du français « marché » (sans doute dépourvu d’élégance). Prononcé à la française, sans respect de l’accent tonique, l’effet produit sur les locuteurs de la langue italienne est ridicule et il écorche l’oreille des latinistes.

 Dans la même veine, un de nos distingués politiques, a trouvé judicieux d’utiliser un mot espagnol « remontada » pour qualifier son retour dans l’arène. Là encore, la prononciation française produit un effet curieux, surprenant pour les locuteurs espagnols qui ne l’identifient pas de prime abord, car l’accent tonique se place sur la troisième syllabe du mot (et non pas sur la dernière, selon l’usage français).

 Mais que signifie « remontada » ? La traduction littérale nous donne « remontée » en français. Si ce vocable pouvait paraître trop trivial (on pouvait l’associer à « bretelles »), n’y avait-il pas une traduction élégante, sensible, adaptée, comme « renouveau », ou « renaissance », permettant de le remplacer en évitant le ridicule d’une mauvaise prononciation ? 

Lequel ridicule ne tue plus depuis bien longtemps.

   Et je ne puis m’empêcher de rendre hommage à un amoureux inconditionnel de la langue française, le verbicruciste qui fit les beaux jours des Jeux télévisés, « Maître Capelo » : Jacques Capelovici, dont le nom était devenu le trope qualifiant l’expert en grammaire, farouche opposant à la montée du franglais et aux rectifications orthographiques du français des années 1990.