HISTOIRE DU PARFUM (2)                APOTHICAIRES & PARFUMEURS                  Gérard Saccoccini

15 Août 2021 

Alambic pour la distillation des résines et huiles essentielles, Fabrication de parfum à Grasse

Les Apothicaires

 Au VIe siècle, Aétius d’Amide, médecin byzantin né en Mésopotamie, résume les connaissances acquises par les Anciens dans l’étude des végétaux. Il établit la première distinction entre les herbes « Botan » et les légumes « Laganon ». Son traité d’herboristerie en 16 livres guidera le minutieux travail des moines apothicaires des monastères orientaux et fera que les herbes aromatiques, soigneusement répertoriées et classées, seront mieux connues. 

 En Occident, sous l’influence des grands ordres monastiques (Cluny, Cîteaux), princes, papes, rois et riches bourgeois vont s’intéresser à leur culture et à leur consommation. L’extraordinaire foisonnement des métiers et la diversité des corporations du Moyen Âge vont introduire des éléments de confusion dans l’attribution des tâches, l’exercice de la profession et l’attribution des privilèges. Cet état de choses requerra souvent l’intervention du pouvoir royal. 

 La fonction d’apothicaire naquit vraisemblablement, ainsi que le nom, dans ces premiers monastères bénédictins dans lesquels cette charge donna lieu à des études très poussées, ce qui explique le grand nombre de laboratoires alchimiques au sein même des communautés monastiques. 

 Les moines eux-mêmes, fin lettrés, férus de textes anciens, s’activaient aux expériences et aux recherches et réalisaient des décoctions de salsepareille, millepertuis et armoise aux vertus sudoripares qu’ils associaient pour lutter contre la malaria (désignée sous le vocable de fièvres paludéennes) ! On peut imaginer que la potion était souveraine car il n’y a pas de relation de moines morts de la malaria, alors que beaucoup d’entre eux travaillaient à l’assèchement des marais pour bonifier les terres.

  Au XIIe s. naquit la corporation des poivriers-souverains, en liaison avec les espiciers de Montpellier. Les anysetiers du roy, corporation spécialisée dans le traitement de l’anis et de l’extraction de ses essences, possédait ses traditions, son protocole et ses armoiries ! A Paris, depuis 1250, les espiciers-apothicaires détenaient le monopole du cumin, du fenouil, de l’anis et des épices. Au-dessous d’eux, les pébriciers ne pouvaient vendre que du poivre ! Dans l’échelle professionnelle, tout en bas de la pyramide se trouvaient les regrattiers, simples revendeurs détaillants de rues ou de foires. Sous le vocable « Apothica » s’ouvrirent nombre d’échoppes qui ne vendaient pas que des drogues, mais des aromates, des épices, des « philtres » et des liqueurs. Là encore, le pouvoir royal interviendra souvent pour limiter les débordements et les abus. 

 Le 22 mai 1336, une déclaration de Philippe VI réglemente le serment des apothicaires et de leurs valets, ainsi que la tenue de l’herbier.

 En 1353, les espiciers-apothicaires s’érigent en corporation souveraine et vendent aussi bien aux médecins qu’aux cuisiniers et, de cette époque, date la coutume d’offrir des aromates aux magistrats (Louis XI freina cet abus) qui perdura jusqu'à la Révolution à titre de privilège des gens de robe. L’ordonnance du 27 août 1790 y mit définitivement un terme. Il faudra attendre 1778 pour que la Faculté de Paris décerne le premier diplôme d’herboriste.

  Charles VIII, au XVe s., réunit le corps des espiciers aux apothicaires, et leur permet de s’immiscer dans la pratique pharmaceutique. Les uns, comme les autres, reconnaissaient les médecins comme « leurs pères et bons maîtres ». Cet état de rigueur pèsera 146 ans sur le corps des pharmaciens.


   Les Parfumeurs

 
   Le mot " parfum " est un dérivé du mot latin " parfumare " signifiant " à travers la fumée ". A l’aube des grandes civilisations, en Egypte, à Sumer, en Chine ou en Inde, comme chez les Etrusques, les Grecs et les Romains, le parfum est présent et ses substances odorantes sont utilisées autant pour les rites religieux que pour les plaisirs de la vie quotidienne et le rituel de la toilette et du maquillage. 

 De tous temps, la fabrication des flacons fut extrêmement soignée, décorée d’images mythologiques, de scènes empruntées à la vie de tous les jours, mais aussi de formes amusantes, symboliques et toujours attractives dans des aryballes et alabastres déclinés en tailles dégressives.

 Les belles Étrusques utilisaient de petites boules de cire enfermant des pétales broyés, que l’on tressait avec les cheveux. La fragilité de ses odeurs fugitives donna à l’homme l’idée de faire bouillir les herbes, écorces odoriférantes et fleurs pour exprimer les sucs parfumés,et un long travail d’analyse où l’empirisme tient une place de choix va amener l’homme à la découverte de l’alambic, au travail en vase clos et au procédé de récupération de l’huile essentielle.

 Ce processus subtil de recherche de la perfection dans l’extraction des sucs odorants fut atteint en Egypte, depuis les hautes dynasties, et amené à son point de perfection sous les Ptolémées

Les conquérants arabes qui donnèrent à l’Egypte le nom de Kymi - Terre noire - furent tellement subjugués par la perfection du procédé qu’ils le désignèrent du nom de Al Kymi, terme à l’origine du mot alchimie.


   LE PARFUM EN OCCIDENT


   Au Moyen Age, les senteurs diffuses, discrètes, à dominante douce, semble avoir recueilli la faveur d’une société qui découvre, par le retour des croisades, à côté d’un nouvel et subtil art de vivre, l’usage des bains, l’hygiène corporelle, les plaisirs raffinés des massages, les boules de savon arabe et les eaux parfumées (eau de rose notamment). Si l’Antiquité connaît l’alambic, on ignorera la fabrication de l’alcool vraisemblablement jusqu’au VIIIe s. 

Début XIVe siècle, les appareils de distillations font leur apparition et vont permettre l'obtention des Quintae essentiae. A cette époque, seule l'huile de térébenthine représente une huile essentielle.

 La mise à sac par les Ottomans, en 1453, de la cité la plus somptueuse du monde, Constantinople, consacre sa perte définitive et amène à Venise une multitude d’artisans des senteurs. C’est là que va naître la parfumerie moderne aux prémices du XVIe siècle.De par ses contacts fructueux et répétés avec les Flandres et l’Allemagne, Venise attire une multitude de savants et botanistes qui accompagnent les riches marchands. Travaillant avec les ingénieurs vénitiens, ils augmentent le nombre d’huiles essentielles extraites par distillation, améliorent l’alambic et s’oriente vers une parfumerie de laboratoire dans laquelle les alcools sont prédominants.

 En Égypte, aux premiers siècles avant et après J.C., on trouvait à Alexandrie une importante corporation de parfumeurs qui distillaient élixirs et essences florales en utilisant des alambics (ambikos).

 Un manuscrit du 4e siècle, écrit par un alchimiste alexandrin Zossime de Panopolis, présentait l’illustration d'un alambic. Ramenés à Venise, les grimoires poussiéreux remplis de comptes rendus d’expérimentations et de recherches fiévreuses, constituèrent le précieux butin disséminé dans les monastères .