HISTOIRE DU PARFUM (1)                             Gérard Saccoccini

15 Juillet 2021 

Musée International de la Parfumerie de Grasse.

 Reconstitution d'une boutique d'apothicaire, salle Moyen Âge 

A l’aube des grandes civilisations, à Sumer, en Égypte, en Chine ou en Inde, comme chez les Étrusques, les Grecs et les Romains, s’ouvre le parcours initiatique complexe qui, depuis l’aromathérapie jusqu’à l’herboristerie, en passant par l’alchimie, conduit au parfum.
  Il est établi que l’usage des plantes aromatiques et « épices » remonte à la plus haute antiquité et que leur emploi semble, de prime abord, avoir été réservé aux cultes, peut - être parce que leurs senteurs étaient sensées devoir plaire aux dieux, mais plus vraisemblablement parce que les sucs, les sèves et les extraits des premières plantes aromatiques connues servirent à l’embaumement des défunts et à la conservation des corps. 

  La préparation des onguents et des fards, ainsi que l’assemblage des fragrances naturelles, fixées dans des boulettes de cire, avait lieu dans les temples et resta longtemps un secret d’initiés que ceux-ci livrèrent plus tard, à prix d’or, aux particuliers. 

  Modestes plantes de nos campagnes ou flore exotique des lointains pays de l’Orient mystérieux, les herbes nanties de leurs vertus médicinales, fraîches, fanées ou séchées, entrèrent dans une pharmacopée savante utilisant, pour la santé de l’homme, dans le secret des officines « d’espiciers » et apothicaires, les confections de concrètes, d’huiles essentielles, de résinoïdes et d’onguents.

   L’incessante quête de nouveauté, dans la parure féminine, poussa l’homme vers une fascinante recherche pour arracher aux plantes leur âme odorante, cette essence suprême appelée huile éthérique ! Ainsi prenait corps, peu à peu, la naissance de l’industrie du parfum. 

  Avant que de conquérir l’univers du « Parfum », savamment dosés, harmonieusement mêlés, les « aromates » entrèrent dans de savantes compositions pour flatter tant le palais que les sensations olfactives, élevant la préparation des mets à l’apogée de la perfection par leur relief et leur noblesse.

   Espiciers du temps jadis, apothicaires et pharmaciens avec « leurs pères et bons maîtres » médecins, anysetiers et autres gantiers parfumeurs (devenus parfumeurs par lettre patente royale) sont les héritiers de la « science des herbes du soleil ».

   LE PARFUM EN PAYS DE FAYENCE


  A la fin du XIX° s., dans le canton de Fayence, le phylloxera détruisit le vignoble. Peu de temps auparavant, le village de Seillans avait été dévasté par le choléra. Pour lui redonner vie, la vicomtesse Charlotte Savigny de Moncorps, conseillée par des amis parfumeurs grassois, décida de consacrer les terres qu’elle possédait entre Callian et Comps aux cultures florales. Elle fut la pionnière de la déclinaison du parfum sur toute une gamme de produits de beauté et de soins du corps qui connurent un succès immédiat et firent la renommée internationale du village de Seillans.

   Charlotte, Jeanne, Marie de Villers-La Faye, est née sans doute en 1848 (?). Elle avait épousé, en secondes noces le marquis de Rostaing possédant de grands domaines sur le terroir de Seillans. En 1870, l’épidémie de choléra décima le village, la marquise perdit son mari et garda les terres.

   Remariée au vicomte René Savigny de Moncorps, elle constatait au retour d’un voyage aux Indes la profonde misère d’un terroir dévasté par le phylloxéra qui avait détruit le vignoble, pilier de l’économie locale. 

  Conseillée par un ami, parfumeur de Grasse, elle dédia ses domaines aux cultures de plantes à parfum. Ses terres, étendues jusqu’au territoire de Callian et de Comps furent plantées de 140 000 pieds de jasmin, 45 000 plants de violettes et 10 000 rosiers de mai.

   Très vite, employant la main d’œuvre rurale locale disponible, elle décida de gérer elle-même la transformation des fleurs récoltées dans une parfumerie qu’elle créa dans le village, et compléta ses plantations par de l’iris (dont la délicate extraction de l’huile est restée une spécialité du pays de Grasse encore aujourd’hui), des lavandes, de la menthe et des plants de géranium largement utilisé pour ses propriétés de fixateur olfactif.

   En 1883, les premières récoltes furent conduites avec succès jusqu’au processus d’enfleurage qui mobilisa la main d’œuvre féminine du village.

   Première femme à recevoir la Médaille du Mérite Agricole pour la mise en œuvre de toutes nouvelles techniques d’arrosage, la vicomtesse fut aussi une femme d’affaire avisée : la fragrance nommée « Parfum de Seillans » était commercialisé, puis déclinée en de nombreux produits : eaux de toilettes, crèmes de beauté, savon et « poudres de riz », que l’on pouvait trouver dans les boutiques des magasins « à rayons multiples » des grandes villes, jusqu’à New York.

    Elle reçut souvent chez elle Alphonse Karr, son ami, Guy de Maupassant aux attaches grassoises en la personne du député Jean Ossola, son neveu par alliance, le poète Jean Aicard et jusqu’à la reine Victoria d’Angleterre venue visiter Grasse en 1891.

   Pendant le conflit de la première Guerre Mondiale, elle transforma son établissement en hôpital de campagne. A la fin des hostilités, les machines abandonnées à l’extérieur étaient inopérantes, rouillées ou obsolètes et la vicomtesse atteignait les 80 ans. Elle vendit son exploitation qui connut un nouvel essor avec le pharmacien de Seillans, François Chauvet, lequel conféra à l’entreprise un rayonnement mondial : certains anciens du village se souviennent encore des visites de Guerlain, le grand parfumeur qui venait en personne choisir ses distillats, ses essences et ses produits aromatiques.

   LES ORIGINES DE LA PARFUMERIE  

 Apothicaires et espiciers (appelés à Florence medici e speziali), gantiers-parfumeurs, herboristes et anysetiers, tous, à un moment ou à un autre de l’exercice de leur métier, ont eu un lien commun : l’héritage médiéval de la connaissance de l’alchimie. Le rêve d’obtenir de l’or par la transmutation des métaux vulgaires enfiévra les imaginations et donna de l’alchimiste une image complètement faussée.

   Son activité s’étendait au traitement du verre, des perles, des pierres précieuses, à la distillation des parfums et des alcools (de l’arabe Al-Kohol), à la constitution d’une pharmacopée complexe, à la fabrication des onguents, des poudres et des fards et à la teinture des étoffes. 

Le Traité des Aluns et des Sels, attribué au médecin Ibn Ràzi (1), a marqué au plus haut point toute une alchimie omniprésente au Moyen-Age.

 Aux XIe et XIIe siècles, par les Croisades et par les compagnons de retour d’Orient d’une part, et au travers de la pensée arabe diffusée par l’université de Tolède d’autre part, des groupes d’alchimistes purent répandre leur savoir au travers des réseaux complexes du compagnonnage et des passerelles de grand commerce, développant une science de connaissance esthétique de la matière !

   Depuis l’origine des temps l’homme s’est interrogé sur les fondements de son existence. La science, au terme d’un long et patient cheminement déductif de la pensée raisonnée, a tenté de répondre à ses questions et, devant ces mêmes interrogations sont nées les religions. Aux prémices des temps historiques, des textes mystérieux semblèrent révéler une autre forme de connaissance, comme un élément d’équilibre entre physique et métaphysique, entre certitude et foi.

 Couchés sur des parchemins, des tablettes, des papyrus, ces textes étranges apparurent simultanément de l’Orient à l’Occident, parlant de spiritualisation de la matière et de matérialisation de l’esprit.

 Ce qui est curieux, c’est le caractère réduit au minimum de l’écriture, sur ces grimoires et supports divers, au profit d’un graphisme visuel fortement symbolique, comme si le « message », dès son origine, se voilait de mystère au sein d’un livre « muet ». Tablettes de Mésopotamie, textes védiques et papyrus d’Égypte sont les plus anciens traités alchimiques connus et déchiffrés, mentionnant un fluide (dit hataka en védique) capable de changer le bronze en or pur !

 De par son caractère universaliste, l’alchimie traita toutes les matières et par conséquent se trouva à l’origine de la naissance de l’aromathérapie et de la médecine. Pouvons-nous encore continuer de penser que les efforts et les veilles laborieuses des alchimistes n’eurent pour but que la recherche de quelques formules permettant de fabriquer de l’or ?

    AROMATHÉRAPIE - HERBORISTERIE

  L’Aromathérapie est la science de l’utilisation des huiles essentielles aromatiques, extraites des plantes, dont les vertus curatives furent découvertes par une longue et minutieuse observation des comportements du monde animal. Produits huileux, volatiles, odorants seront extraits par distillation au moyen de l’instrument le plus ancien connu, l’alambic, puis utilisés par les alchimistes du Moyen Age pour leur vertus antiseptiques, diurétiques, carminatives et antispasmodiques.

 Médecins et chirurgiens barbiers de la Renaissance les utiliseront largement, sans pouvoir toutefois en expliquer scientifiquement l’action, ce qui leur vaudra défiance, suspicion et quelques bonnes accusations de pratique de la sorcellerie.

 Connus depuis la nuit des temps, ces extraits de plantes servaient à l’embaumement des corps dans l’ancienne Egypte et, selon l’importance et le rang social du défunt, la somme et la richesse des produits utilisés allaient croissant, pour atteindre le summum dans la cérémonie d’embaumement du corps des pharaons. Sumériens, Hittites, Grecs et Romains utilisèrent largement les huiles essentielles dans les rituels funéraires, le culte, la purification, l’hygiène corporelle et les jeux.

   L’Herboristerie relève de l’art des « espiciers » du Moyen-Age, venus s’installer près des grands ports commerçant avec l’Orient. Des membres de cette corporation s’établirent au XIe s. à Montpellier dont le nom latin : Mons Pistillarius désigna le lieu où se concentraient les échoppes des espiciers. Instruits des pouvoirs des plantes aromatiques, ils sont à l’origine de la connaissance et de la vulgarisation des vertus curatives des plantes médicinales. Réservées aux cultes religieux, et parfois au seul usage d’un personnage (le basilic !), les plantes répertoriées, classées, constituèrent la base d’une pharmacopée traditionnelle, souvent familiale et dite « de grand’mère », qui produisit une foule de tisanes et décoctions salutaires, savamment préparées et dosées par l’herboriste (aujourd’hui disparu) dont la pratique reposait sur de solides et antiques connaissances léguées par ces « espiciers », à l’origine du métier d’apothicaire, de la pharmacie moderne et de la fondation de la faculté de médecine de Montpellier. Ceci nous indique bien que le détenteur du secret des herbes, prêtre ou laïc, quelle que soit l’époque, fut toujours respecté et honoré.