GRASSE, CITE ÉPISCOPALE ET CONSULAIRE

 

La Gazeto de « Tourrettes Héritage » N°43 

15 Février 2020 


Le 4 février, un petit groupe de l’Association Tourrettes-Héritage partait à la découverte de Grasse, capitale mondiale des parfums et berceau du peintre Jean-Honoré Fragonard, en complément à la conférence « Les Hasards Heureux de l’Escarpolette », donnée à Tourrettes le 15 janvier dernier.

 Issue d’une bourgade du Xème s., la ville est bâtie à la croisée des grandes voies de communications Nord-Sud, unissant les territoires de la Provence orientale intérieure au littoral, et Est-Ouest, unissant le comté de Nice à la Provence rhodanienne.

 Elle est adossée aux ressauts préalpins parallèles, orientés Est-Ouest, qui intègrent de vastes « plans » en escaliers dévolus à la culture de l’olivier et de l’oranger pour les plus tempérés.

 Contenus entre leurs crêtes, les cours d’eaux « cherchent » le chemin de la mer et se fraient un passage perpendiculaire aux reliefs, entaillant le massif karstique de gorges étroites et impressionnantes.

 Dans cette Provence orientale, les villages furent créés entre le XIème et le XIIème s. pour regrouper les communautés rurales et les sécuriser autour des châteaux. Le XVème siècle caractérisé par les guerres fréquentes et les épidémies verra le dépeuplement et l’abandon de ces sites qui ne garderont que peu de vestiges du Moyen Age. La reprise économique ne se manifestera qu’après le rattachement des terres de Provence à la Couronne, en 1482, avec le renouveau et la prospérité retrouvés au début du XVIème siècle.

   Dépendante de l’évêché d’Antibes installé depuis 442, la ville bénéficie en 1244, par une bulle du pape Innocent IV, du transfert du siège épiscopal pour des raisons multiples, entre autres et en priorité, la volonté de s’éloigner du rivage pour se mettre à l’abri des razzias sarrasines.

 De plus les désaccords fréquents, les controverses et les oppositions entre l’évêque et ses chanoines, n’étaient plus de nature à garantir la sérénité nécessaire à l’administration du diocèse.

 Enfin, le souhait des comtes de Provence était de voir l’évêché installé sur un territoire relevant de leur autorité.

 Devenue ville libre en 1155, à la faveur de luttes entre les feudataires de la famille Rodoard et l’évêque d’Antibes, dont l’autorité demeurait entière au titre du statut co-cathédral, elle fut le siège d’un consulat établi sur le modèle des cités-état italiennes. Les comtes de Provence prirent souvent ombrage des volontés d’indépendance de la petite république et de sa puissance économique à la croissance exponentielle.

 Des liens commerciaux étroits et fructueux furent tissés avec Gênes, en 1171, puis avec Pise en 1179. Les échanges se faisaient par la mer, vers le port de Néapolis (La Napoule) et les marchandises étaient acheminées vers Grasse soit par le charroi suivant la vallée de la Mourachone, vers Mouans-Sartoux, soit par le cours de la Siagne, vers Auribeau, au moyen de barges plates halées depuis les rives.

 La population s’accrut considérablement pendant un siècle, à tel point que la petite enceinte implantée sur l’éperon du Puy ne suffit plus à la contenir. La ville s’étendit alors vers le Nord et une nouvelle enceinte, percée de trois portes, fut construite dans la deuxième moitié du XIIIème s. Les fossés, au pied des murailles, furent longtemps le théâtre de parties de jeu de paume à main nue. Une fois les muraille abattues, l’artère construite sur leur emplacement fut tout naturellement nommé boulevard du Jeu de Ballon.

   La prospérité de la petite cité tenait à une importante industrie de la tannerie, traitant les cuirs locaux et les peaux importées d’Espagne ou de Sicile, de laquelle naîtra une nouvelle catégorie sociale : les gantiers-parfumeurs. Les tanneurs grassois utilisaient largement, mêlée aux aromates et à la chaux, de la poudre de feuilles de myrte broyées qui donnait aux cuirs une magnifique couleur verte, objet de leur renommée.

 A la Renaissance, la mode de parfumer les gants venait d’Italie. Lorsque le gant perdit son symbole de statut social, l’activité, sous le règne de Marie de Médicis, évolua naturellement vers le métier de parfumeur, favorisé par un climat exceptionnel permettant la culture des plantes essentielles les plus prestigieuses. La reine de France libéra, par décret royal, la toute nouvelle corporation de la sujétion aux apothicaires, eux-mêmes assujettis à l’autorité du corps des médecins.

 La corporation s’organisa en entité indépendante qui reçut ses propres statuts en 1724, initiant une synergie croissante de développement commercial, exponentiel jusqu'à nos jours.

   La promenade débutait par la Place des Fainéants (faix néant : portefaix, pas de confusion), proposait la découverte du centre historique avec la Place aux Aires, où l’on pratiquait l’étalonnage des instruments de mesure et d’arpentage (aires), traversée par un grand canal d’eaux vives bordé d’arcades qui alimentait les bassins dans les caves des maisons des tanneurs pour laver les cuirs. Face à la belle fontaine de 1821, la maison de Maximin Isnard, riche négociant tanneur et père du conventionnel girondin, est un très bel exemple des constructions du XVIII° siècle. La superbe porte aux vantaux de noyer massif est surmontée d’une magnifique grille en fer forgé bordant l’élégant balcon sur colonnes. La rue de l’Oratoire, du nom de la chapelle construite en 1632 par les frères de la congrégation homonyme, conduit à la rue de la Rêve Vieille, où l’on acquittait les taxes sur les marchandises entrant en ville, et débouche sur la Place aux Herbes (ou Place du marché). La Rue Droite, reliant les anciennes portes Est et Ouest était qualifiée par le mot drecho (droit) qui désignait non pas la rectitude de la voie principale, mais la voie la plus directe, bien que très sinueuse, pour aller d’une porte au centre de la ville, à la place du marché.

  Longeant le barri (muraille), vestige de la première enceinte entourant le Petit Puy (podium, plate-forme) on atteint l’imposante Tour de l’Evêque, en tuf de fontaine, jouxtant l’Hôtel de Ville, ancien siège épiscopal aux beaux appareillages de pierre noble.

 La cathédrale Notre Dame du Puy, édifice caractéristique de l’art roman en Provence orientale, aux accents Ligures, est dépourvue de transept. Construite en belles pierres de calcaire blanc, elle abrite, entre autres, trois toiles de Rubens, le Lavement de Pieds de Fragonard, le retable de St. Honorat de l’école niçoise du XV° siècle, l’orgue aux quarante jeux du facteur Jungk de Toulouse. Au-dessus du maillage serré des venelles du Moyen-âge, dominant la rue Tracastel (entre les « châteaux ») surgit le gracieux clocher aux tuiles vernissées de la chapelle du couvent des Visitandines. Bien que cloitrées, elles accueillaient les jeunes filles issues de la bourgeoisie grassoise à qui elles enseignaient la fabrication de dentelles, de broderie et de pommades et onguents.

 La rue Jean Ossola offre d’intéressantes façade d’anciens hôtels particuliers qui abritent le Musée du costume et le Musée des Beaux-Arts aménagés par les propriétaires de la parfumerie Fragonard.

 L’ancien hôtel Pontévès-Morel (1779) - belle demeure provençale qui abrita Pauline Borghese en 1811- qui donne sur le célèbre Square du Clavecin dans lequel la statue de Fragonard (Auguste Maillard 1907) semble méditer, inspiré par sa muse.

   L’après-midi était consacré à la visite de la Villa Fragonard, belle bastide provençale qui fut la résidence du riche négociant Alexandre Maubert, cousin du peintre Jean-Honoré Nicolas Fragonard, né à Grasse le 5 avril 1732.  Il fut un des plus grands peintres rococo, peintre d'histoire, de genre et de paysages, assez rapidement spécialisé dans le genre libertin et les scènes galantes, comme le montre son célèbre tableau Le Verrou. Il ramena à Grasse les quatre grands tableaux muraux exécutés pour la comtesse du Barry qu’elle refusa, arguant que ces « tartouillis » étaient passés de mode. Les panneaux qui sont aujourd'hui conservés à Grasse dans la villa, qui est devenue le musée Jean-Honoré Fragonard, sont des copies réalisées par Auguste de La Brély, avant la vente des originaux au collectionneur américain Pierpont-Morgan (ensuite achetés par Frick en 1915, ils sont aujourd'hui conservés à la collection Frick de New York). 

Fragonard est mort le 22 août 1806, Paris

  Une autre grande figure de la ville de Grasse était évoquée avant de quitter la Capitale mondiale des parfums : François Antoine Léon Chiris, né le 13 décembre 1839 et mort à Paris le 16 janvier 1900

 Il fut un des plus grands industriels de la parfumerie et un homme politique français, député et sénateur des Alpes-Maritimes sous la Troisième République.

 Fils de Léopold Chiris (1811-1862), important industriel négociant en parfumerie, héritier du parfumeur italien Antoine [de] Chiris en 1768, et de Claire Isnard (1816-1897), fille d'un banquier. Léon fut aussi le petit-neveu par sa mère de Maximin Isnard, député du Var à la Convention nationale

En 1868, à Grasse, il transféra son usine de la Place Neuve dans l'ancien couvent des Capucins et fut le premier industriel de la ville à faire fonctionner ses machines à la vapeur. Il importait le musc de Chine, la badiane du Tonkin, le benjoin de Cochinchine, le patchouli et la citronnelle d'Indonésie et des Philippines, l'ylang-ylang de Madagascar. La notoriété des parfums Chiris était à son apogée à la fin du xix° siècle : la reine Victoria rend visite à Léon Chiris en 1891 dans sa villa Saint-Georges à Grasse.

 L'industriel utilisa en 1894 la technique des solvants volatils pour l'extraction des parfums et inaugura en 1899 une nouvelle usine à Grasse, « la Mosquée », copie de l'usine construite à Boufarik.

 Avec son concurrent, les établissements Roure-Bertrand fils, il fut à cette époque l'un des plus gros producteurs de parfums au monde, qui forma le jeune François Coty à l'art du parfum ! 

  Nombre de participants « connaissaient » Grasse. Certains sans conviction ou intérêt particulier, beaucoup sans manifester le désir de s’y arrêter.

 Tous ont été surpris et enchantés de cette découverte insolite et enrichissante.