D’où venons-nous ?                                      Gérard Saccoccini

La Gazeto de « Tourrettes Héritage » N°54

15 Janvier 2021  

 D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?  Paul Gauguin

C’est la première partie du titre de l’une des œuvres parmi les plus connues de Paul Gauguin, peinte à Tahiti de 1897 à 1898 et conservée au musée des beaux-arts de Boston, dont le questionnement    est plus que jamais d’actualité ; surtout dans la formulation de la troisième partie : où allons-nous ? L’origine, la nature et la finalité de la vie sont au centre de cette interrogation métaphysique sur le sens de l’existence humaine. « Qui ne s’interroge pas est une bête, car le souci constitutif de toute vie humaine est celui de son sens. » Arthur Schopenhauer.

 C’est entre le Tigre et l’Euphrate, dans les plaines accueillantes du Croissant fertile, que l’Homme cessa un jour d’être un nomade. Sans doute parce qu’il eut la prescience de l’art de cultiver.

 Puis la révélation.

 C’est en Mésopotamie, à Abu Hurairah, que commença l’histoire humaine des peuples sédentaires, à l’issue d’une longue errance. Associant l’eau, source de vie, au grain de blé enfoui, il put multiplier les épis et faire que la terre devienne la mère nourricière.

 C’est ainsi qu’il prit conscience de son être et, inconsciemment, de son devenir.

 Ainsi naquirent le dessin, le décor, le verbe, l’écriture, les incantations, les invocations propitiatoires et les religions.

 Ainsi naquirent les civilisations ! 

Une pierre ramassée dans le lit d’un ruisseau, un morceau de bois façonné par les intempéries, ou un os trouvé sur le sol, révélèrent par leurs courbes et leurs volumes l’univers infini des formes, et l’incitèrent à en accuser les contours par quelques traits gravés. Ainsi naquit la sculpture ! 

De l’assemblage de mégalithes pour réaliser un dolmen (le premier ensemble construit) procèdent probablement les réflexions des bâtisseurs, car c’est sans doute pour soutenir les dalles de couverture des chambres funéraires que prit forme l’idée du linteau ! A la fin du néolithique, quelques 3000 ans avant J.C., l’homme découvrit l’architecture !

 Sur un chemin qu’il mit des millénaires à parcourir, il se servit de l’image figurative pour commencer à communiquer. Comme ces centaines de mains interrogatrices, inquisitrices, imprimées il y a plus de 35 000 ans, sur les parois des grottes où résonnent leurs appels silencieux. Il la fit entrer, peu à peu, dans un système de codification complexe par lequel l’image représentée rendait visible la signification mentale de l’objet. Stupéfiant langage, non verbal mais universel, qui se développa aux mêmes périodes à Altamira, à Lascaux, dans la grotte Chauvet, en Amérique du Nord, en Argentine et dans l’archipel indonésien. Stupéfiante synthèse de systèmes de pensées complexes et de l’unité du génie humain, le langage s’est manifesté comme l’essence de tous les arts premiers, bien avant que ne se manifeste l’art de l’objet.

 Lentement, les figurines et les pictogrammes composèrent un mode de lecture associant la phonétique aux symboles : le verbe était né. Il donna naissance à l’écriture.

 La marche des sociétés primitives, leur hiérarchisation, la naissance du pouvoir et des religions ont sans doute créé le besoin de l’écriture. L’image est devenue « mot ». 

Les images assemblées ont formé des phrases…

 Puis des livres d’argile avant que d’être de pierre. 

La relation « lecture de l’image » à « écriture de l’image » ne put se réaliser qu’au prix d’un long processus de codification des attitudes, des postures, des statures, de la gestuelle et des couleurs.

 Gravés il y a près de6000 ans sur des tablettes d’argile, en pays de Sumer, les signes mystérieux de l’écriture la plus ancienne connue à ce jour furent exhumés des ruines des temples d’Uruk et de Lagash.

 Un ancien mythe égyptien, que Platon rapporta, stipulait que l’invention de l’écriture n’aurait pu se réaliser qu’au détriment de la mémoire ! Alors, un curieux parallèle prend forme avec l’histoire mal connue de nos prétendus ancêtres les Gaulois dont nous savons peu de choses. Pour des motifs cultuels et politiques, la classe sacerdotale des druides privilégia la transmission orale, considérant que « l’apprentissage de l’écriture obère la mémoire ». De fait, ils n’écrivirent rien sur eux-mêmes et nous ne les connaissons que par les chroniques de la conquête romaine.

 Les bruits de la nature composèrent le chant du monde. Le vent dans les arbres, la pluie qui crépite, les chants d’oiseaux, le murmure des sources, les gazouillis d’un nouveau-né ont rendu l’homme attentif aux sons. Par curiosité (ou par nécessité) il s’attacha à les capturer, à les reproduire et à les codifier pour traduire sentiments et émotions : la musique était née. Pourtant, pour pouvoir la restituer fidèlement, fallait-il encore établir le lien de l’écriture à la lecture.

Aux alentours de 1026, Guido d’Arezzo, un moine de l’abbaye de Pomposa, créa l’écriture musicale des notations surportée. Ainsi fut abolie l’inévitable corruption des œuvres transmises aux chantres par des maîtres à la mémoire parfois défaillante. La cacophonie devint harmonie. 

   D’où venons-nous ? 

L’histoire évolutive de l’espèce humaine a pris forme depuis les brumes du lointain Paléolithique. Notre histoire se révèle comme le fabuleux voyage qu’Homère n’imagina jamais : l’odyssée de l’homme. Cette interrogation appelle une autre question, celle de la deuxième partie du titre : que sommes-nous ? Puis une autre encore, exaltante et angoissante à la fois, qui termine le titre et vient clore la lecture du tableau : où allons-nous ? L’odyssée de l’homme est la plus merveilleuse et la plus fantastique aventure, un prodigieux voyage à travers les millénaires qui a forgé son intellect et a fait de la culture son bien le plus précieux, son plus bel outil de progrès et de civilisation.

 « Un homme sans culture est un arbre sans fruit ». 

« Un homme sans vision, sans projet, sans objectif dans la vie est un homme sans destinée car c’est l’homme qui prépare sa propre destinée ». Antoine de Rivarol.