Clochers et campaniles                            Gérard Saccoccini

15 JUIN 2022 

Tradition de la tuile vernissée en Provence 


  Les travaux de réfection du clocher de Tourrettes, engagés en 2019 pour une nécessaire mise hors d’eau de l’édifice, ont intégré le projet de recouvrement de la structure pyramidale par une toiture de tuiles vernissées dites « en écailles de poisson ».

 Cette magnifique structure aux couleurs du blason de Tourrettes, se dresse au-dessus des toitures et pointe fièrement sa flèche sur laquelle le coq gaulois de la girouette renferme la dédicace des compagnons qui l’ont réalisée.

 Durant les visites guidées, le qualificatif de « clocher bourguignon » est souvent formulé par les visiteurs, ce qui nous amène à apporter quelques précisions qui, sans s’inscrire en faux contre ce vocable, en partie exact, rétablissent l’origine historique de cette tradition dont la Bourgogne n’a pas l’exclusivité. 

En 933, un état féodal est créé par Rodolphe II, un bosonide souverain de Haute-Bourgogne, qui acquiert la Basse-Bourgogne à Hugues d’Arles, un domaine qui intègre le duché lyonnais, le marquisat de Viennois, la Provence et une partie du Languedoc. Le royaume ainsi créé prend le nom de royaume d’Arles, il perdurera jusqu’en 1378.

 L’usage de la tuile vernissée pour les toitures des édifices civils et religieux s’est répandu sur l’ensemble du territoire, développant un usage utilitaire devenu une tradition, loin de toute fantaisie décorative, de tout souci d’originalité ou de manifestation « d’exotisme ».

   Origines de l’usage de la tuile vernissée 

  L’archéologie a recensé les premiers tessons qui font apparaître la terre vernissée en Gaule dès le premier siècle de notre ère. La période gallo-romaine voit se répandre l’usage de la poterie vernissée qui s’imposera au cours du Moyen-âge. 

C’est d’abord en Chine, où elle fut découverte quatre siècles avant notre ère, que s’est développée l’utilisation de la technique de la glaçure plombifère verte unie. Elle gagne ensuite l’Occident, au 16ème siècle, par la création des passerelles commerciales qui font suite aux explorations maritimes vers l’Orient des puissances européennes. 

Appliqué tout d’abord aux contenants de liquides, c’est parce que le procédé permettait l’imperméabilisation du matériau, et le mettait de fait hors gel, que l’homme l’appliqua à la fabrication des tuiles pour le revêtement des toitures et des façades exposées aux éléments.

 L’utilisation de la tuile vernissée a gagné l’Europe centrale, les pays allemands puis, en France, les régions de Bourgogne et de Franche-Comté. Dans ces régions, le couvrement des clochers notamment était dit « à l’impériale », car la forme du dôme évoquait la couronne impériale.

   Entre le 17ème et le 18ème siècle, la fabrication de la tuile vernissée se diversifie. Caractérisée par une argile rouge, recouverte d’engobe blanc ou coloré d’oxydes métalliques, elle gagne les régions alpines du Sud et la Provence. Unie ou décorée, la tuile de terre vernissée est émaillée avec une glaçure translucide et cuite aux alentours de 1000°C. Salernes et Cotignac en ont été des centres de production très actifs.

 La bonne résistance, la pérennité et les qualités imperméables en ont fait un matériau de prédilection pour la couverture des édifices et pour l’isolation des murs contre la pluie et le mistral, comme par exemple les façades des maisons du village de Carcès. Les magnifiques effets polychromes et la structure de la tuile « en queue de castor », ou en « écaille de poisson », l’ont faite privilégier pour le recouvrement des clochers en forme de pyramide de la Provence alpine, de la Basse Provence et du Comté de Nice.

 Aujourd’hui encore, dans ces territoires, une centaine d’édifices civils et religieux conservent encore ce type de toitures couvertes en tuiles vernissées.

   Campaniles de Provence 

  Nombre de villages de Provence possèdent un édifice surmonté d’une construction en fer forgé dans laquelle est suspendue une cloche : le campanile (du latin campana, cloche).

 On trouve également ce type d’ouvrage sur les tours et beffrois anciens, parfois très sobres, voire rustiques, parfois véritables objets d’art en fer forgé, élégantes pièces de ferronnerie dont la forme s’avère être une spécificité du Sud de la France.

 Le Var est le département qui en compte le plus.

 La fonction essentielle du campanile est d’abriter et de soutenir une cloche. Quant à celle d’embellir les parties sommitales des tours et clochers, elle s’avère d’importance secondaire. Bien que fréquemment installé sur des clochers d’églises, il n’appartient pas à l’architecture religieuse mais résulte de l’évolution de l’horlogerie et de la volonté du pouvoir civique de gérer les heures rythmant toutes les phases de la vie sociale.

 Ce n’est que tardivement qu’il deviendra à la fois un membre architectural et un objet d’art. La plupart des campaniles du Var datent du 18ème siècle, et peut-être pour quelques-uns, mais c’est peu probable, pourrait-on remonter au 17ème s, bien que leur datation soit très difficile pour des raisons d’ignorance des dates de commande ou des dates d’exécution de celle-ci.

   Parce que moins onéreux qu’une reconstruction, beaucoup de campaniles ont été substitués aux flèches des églises, souvent dégradées par manque d’entretien, et parce qu’il fallait aussi loger les cloches qui donnaient l’heure aux habitants, cloches dont le son était différent de celles qui sonnaient les offices religieux.

 Il s’est dit souvent au pays du mistral (mais est-ce la vraie raison ?) que le choix de leur structure légère et ajourée, qui offrait peu de prise au vent, leur permettait de mieux résister. Il est plus probable que la raison véritable ait été de réaliser une construction moins coûteuse qu’une tour dédiée, puisqu’à la charge de communes par définition moins riches que l’Église.

 De ce fait, ils ont peu à peu fleuri sur les restes de constructions civiles, les tours de flanquement des remparts et les clochers sur plan carré à toiture plate. 

  Il apparaît donc que la tradition d’utiliser le fer forgé est moins ancienne que celle de la tuile vernissée.Dans la plupart des cas, l’architecture du toit en pyramide d’un clocher était destinée originellement à recevoir une couverture de tuiles plates en écailles de poisson (vernissées ou non).

 Pour des raisons diverses, cela ne constitue pas une généralité.